Labels que nous aimons : Potions Music
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Notre série « Labels Coup de Cœur » met en lumière les labels qui nous enthousiasment. Ce mois-ci, nous vous présentons Potions Music , un label né d'une passion de toujours, d'un goût instinctif et du plaisir de redonner vie à des sonorités méconnues.
Pour Andrew Brearley, diriger un label de musique apparaît comme l'aboutissement naturel d'une passion de toujours. « Dès l'âge de trois ans, je disais à mes parents que je voulais être batteur », raconte-t-il. En sixième, lorsqu'il a enfin eu sa première batterie, il vivait déjà au rythme de la musique : il créait des boucles dans sa tête, faisait du beatbox sans arrêt et agaçait sa famille et ses amis avec ce flot incessant de beats qui le traversaient.
Le lycée a exacerbé cette passion. En seconde, il s'est passionné pour le hip-hop. En première, pour les platines. À 17 ans, il composait des instrus, distribuait des cassettes et mixait partout où il le pouvait. Son déménagement de Rockford à Chicago à 18 ans lui a permis d'accéder à la scène rap underground de la ville, dans laquelle il s'est investi pleinement : il produisait pour des MCs locaux, travaillait avec le label Galapagos4 et se forgeait peu à peu une réputation de beatmaker (il compose encore aujourd'hui sous le pseudonyme de Meaty Ogre ).
Mais même alors, le hip-hop ne représentait qu'une partie de l'histoire. Le véritable moteur, c'était la quête : dénicher des disques soul, jazz, funk, psychédéliques et autres pépites « exotiques » à sampler, et rechercher cette sensation unique de trouver quelque chose d'inédit. « On avait une petite équipe à Rockford, et on se lançait toujours dans une compétition amicale pour dénicher les samples déjà utilisés par d'autres », se souvient-il. Cette compétition a donné naissance à une carrière d'achat et de vente de disques, à l'acquisition d'une oreille encyclopédique et au développement d'un goût instinctif qui allait plus tard constituer la base de son propre label.
Avant Potions, Andrew codirigeait Cherries Records , un label de funk et de disco moderne, avec son ancienne partenaire, Sheila Hernando (DJ Shred One). Le label s'était forgé une réputation d'excellence, mais la rupture entre Andrew et Sheila a entraîné sa fermeture. De cette séparation, tant personnelle que professionnelle, est né un nouveau chapitre : Potions Music. Le nom, explique Andrew, lui est venu d'une image de sorciers et de sorcières mystiques, un peu « voyous », qui lui trottait dans la tête. Une fois le logo dessiné par Ryan Doherty, l'identité du label s'est affirmée.
Ce qui distingue Potions, c'est son refus d'être catalogué. Ce n'est pas un label funk, hip-hop ou jazz. C'est simplement le reflet des goûts d'Andrew, affinés au fil des décennies passées à écouter et à analyser des musiques de tous horizons. Son expérience de beatmaker lui a appris à traquer les samples vinyles dans les recoins les plus insolites de la musique. Cette quête l'a conditionné à faire confiance à son instinct ; lorsqu'il entend quelque chose qui lui plaît, il le sait, et Potions existe pour donner un support physique à ces sonorités.
La démarche d'Andrew pour la sortie de musique sur Potions est d'une simplicité rafraîchissante. Les nouveaux albums lui parviennent souvent par le biais d'amis, du bouche-à-oreille ou de découvertes nocturnes sur YouTube et Bandcamp. Si Andrew entend un morceau prometteur qui n'est pas encore sorti sur vinyle ou cassette, il contacte directement l'artiste. Pas de stratégie A&R élaborée, juste son intuition et l'envie de partager de la bonne musique qui mérite d'être davantage connue. « Je ne cherche pas activement de disques à sortir sur Potions », explique-t-il. « La plupart des sorties arrivent par hasard. »
Certains de ces événements ont laissé leur empreinte. Le premier album d'Harry James chez Potions, Buy The Numbers, a si bien saisi l'atmosphère d'isolement de l'ère COVID qu'il a trouvé un large public et a permis au label de se constituer une nouvelle clientèle. Pourtant, Andrew se refuse à l'idée d'un son unique et emblématique. « Le label en lui-même n'est pas aussi important que chaque sortie individuelle », affirme-t-il. Chaque projet construit son propre univers, son propre public de niche.
Quelques morceaux se distinguent comme des références incontournables : « Boss » de Songs for Gods, « Kid Icarus » de Harry James et « Crime in the City » de Mike Wallace sont trois titres qu’Andrew cite lorsqu’on lui demande de définir le son du label. Ensemble, ils esquissent les contours de l’esthétique de Potions : éclectique, introspective et toujours un brin surprenante.
L'approche de Potions vis-à-vis des supports physiques est tout aussi singulière. La plupart des disques sont en édition limitée, souvent épuisés aussi vite qu'ils arrivent. C'est en partie une question de pragmatisme : Andrew vit dans un petit appartement à New York, travaille à temps plein comme professeur et ne souhaite pas se retrouver enseveli sous des cartons de vinyles invendus. Mais c'est aussi un choix délibéré : une structure à petite échelle qui privilégie l'intimité à l'expansion. Potions ne cherche pas à devenir un grand label, mais à rester agile, personnel et pérenne.
Cet équilibre prend tout son sens lorsqu'on comprend pourquoi Andrew continue de faire vivre le label. Potions lui permet de rester impliqué dans la musique tout en conciliant les exigences de son métier d'enseignant. C'est un exutoire, une communauté, et un rappel que la culture musicale physique a encore toute sa place. « Potions me permet simplement de déconnecter du travail », explique-t-il. « Cela me met en relation avec des gens qui aiment aussi ce genre de musique et qui apprécient de posséder de la bonne musique sur supports physiques. »
Quant à la suite, Potions prépare de nouvelles sorties de Mike Wallace et Harry James, ainsi que quelques surprises en attendant les réponses des artistes qui ont contacté Andrew. L'avenir n'est pas figé dans des plans quinquennaux, mais plutôt axé sur une ouverture à la découverte.
Cette ouverture est l'essence même de Potions Music. Chaque album est comme un petit sortilège : une fois disparu, il disparaît à jamais, mais tant qu'il est là, il a cette capacité de vous imprégner.
Par où commencer avec la musique des potions ?
Chants pour les dieux - Boss
Le disque qui a tout déclenché pour Potions. Un funk électro féminin uptempo.
Harry James - Kid Icare
Magnifique morceau instrumental du pianiste autodidacte Harry James. Un titre phare de son album de 2021, Buy The Numbers.
Mike Wallace - Le crime dans la ville
Musique instrumentale de bibliothèque à l'atmosphère noire, comme la bande originale d'un film qui n'existe pas.
Gérald Bailey - Mo Helia
Un morceau phare de dub jazz lo-fi tiré de l'excellent album de 2025 du trompettiste de Chicago, Gross Means .
Ogre charnu - Grenades !
Production personnelle d'Andrew. Des rythmes boom bap pleins de panache.